20 ans pour réussir collectivement les déplacements de demain

Le CGEDD et France Stratégie ont présenté les résultats d’une démarche prospective sur la décarbonation des transports à l’horizon 2040-2060 avec un premier jalon en 2030. Parmi les enseignements, la neutralité carbone n’est atteignable qu’avec « un panachage de solutions technologiques et de comportements de sobriété », l’adhésion du plus grand nombre… Le tout « en allant vite, fort et ensemble ». 

Le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et France Stratégie ont présenté le 8 février 2022 les résultats d’une démarche prospective menée en 2020 et 2021 sur la décarbonation des transports ou comment atteindre la neutralité carbone pour les mobilités des marchandises et des voyageurs à l’horizon 2040-2060 « avec un premier regard particulier en 2030 ».

Les résultats prennent la forme de deux rapports généraux (« de synthèse » et « transversal ») et de 6 rapports « thématiques » dont un consacré aux « marchandises, transports routiers, ferroviaires, fluviaux, logistique urbaine », un autre aux « marchandises, maritime et ports », un autre encore aux « motorisations », sans oublier ceux sur les mobilités des voyageurs.

Un total de 7 scénarios a été élaboré selon deux leviers : les évolutions des technologies et des comportements. 5 scénarios suivent une logique dite de « forecasting » (c’est-à-dire qu’ils ne prennent pas l’objectif de neutralité carbone comme une donnée d’entrée) et 2 scénarios ont été construits selon une logique « backcasting » reposant eux sur l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone « complète » en 2060. Les différents scénarios sont détaillés dans l’encadré (voir plus bas).

Les enseignements des 7 scénarios
7 scénarios

Les 5 scénarios de « forecasting » sont :

• « Ambition de base » accentue les efforts déjà engagés. Ce scénario ne permet pas d’atteindre l’objectif de neutralité carbone mais « assure les deux tiers du chemin ».

• « Pire climatique » : allie de faibles progrès technologiques et une évolution très individualiste des usages. Ce scénario a « de piètres résultats tant économiques qu’environnementaux ».

• « Hypercontraint » fait l’hypothèse qu’en l’absence d’amélioration technologique probante, tous les efforts porteraient sur des restrictions d’usage. Ce scénario a lui aussi « de piètres résultats tant économiques qu’environnementaux ».

• « Poussée de sobriété » va plus loin que l’ambition de base sur l’aspect sobriété avec des déplacements limités, l’utilisation élevée de modes respectueux de l’environnement… Ce scénario « s’approche de la neutralité sans l’atteindre ».

• « Poussée de technologie » va plus loin que l’ambition de base avec un effort sur le développement de technologies innovantes pour la substitution des énergies fossiles. Ce scénario lui aussi « s’approche de la neutralité sans l’atteindre ».

Les 2 scénarios « backcasting » sont :

• « Pari technologique » privilégie les leviers technologiques avec des efforts de sobriété.

• « Pari sobriété » privilégie la sobriété avec moins d’efforts technologiques, c’est « un pari sociétal ».

Ces deux scénarios « backcasting » permettent d’atteindre l’objectif de neutralité carbone.

« Atteindre la neutralité carbone des transports est un exercice difficile mais certains des scénarios montrent que c’est possible. La technologie ne pourra pas tout résoudre, la sobriété non plus. Seul un panachage de solutions technologiques et de comportements de sobriété permet d’atteindre l’objectif de neutralité carbone. Et il faut faire plus vite, plus fort, ensemble de manière collective », a indiqué Pierre-Alain Roche, président de la section mobilités transports du CGEDD lors du « webinaire » de présentation des résultats, le 8 février 2022.

Les scénarios permettent de dire qu’il est donc possible de « définir des politiques de décarbonation robustes, malgré les incertitudes sur le devenir des technologies et sur l’évolution des comportements, sous réserve de les réviser périodiquement ».

Un autre enseignement des scénarios est que « des développements technologiques volontaristes, déjà amorcés pour la plupart, peuvent permettre une réduction notable des émissions des transports. La mise en place de leviers économiques et réglementaires précoces est indispensable pour parvenir au résultat, notamment à l’échelle internationale ».

En plus de ces actions « précoces », il est nécessaire d’agir maintenant pour parvenir à la neutralité en 2050, soit dans moins de 30 ans, ce qui revient en une génération à renoncer aux énergies fossiles.

Pour parvenir à l’objectif, un point majeur reste l’adhésion du plus grand nombre, autrement dit de l’ensemble des composantes de la société, pour un changement des comportements et des mentalités, pour davantage de responsabilité collective de tous afin d’atteindre la neutralité carbone qui est aussi un défi international. Selon les rapports, « c’est l’enjeu le plus délicat ».

Cette adhésion est en effet « conditionnée par une répartition jugée équitable des efforts collectifs tant au sein de la société française que quand elle se compare aux autres pays. Elle ne pourra être véritablement obtenue qu’à l’issue d’un débat de société, bénéficiant de toute l’information possible et permettant à chacun d’envisager son devenir dans le cadre de cette transition. Ces débats à toutes échelles de territoires pourront s’appuyer sur de nombreux retours d’expérience positifs et contribuer à en amplifier les effets ».

« La vieille question du partage modal »

Pour les transports de marchandises et la logistique « qui leur est associée », comme pour les mobilités des voyageurs, l’atteinte de la neutralité passe par les deux leviers des comportements et des technologies. Toutefois, « l’évolution des comportements est moins importante que les innovations technologiques pour la neutralité carbone des activités fret », a précisé Michel Savy, ingénieur, économiste, professeur à l’université Paris Est.

Des solutions comme la lutte contre l’auto-solisme, la mise en place du co-voiturage ne peuvent pas être mises en place pour le transport de marchandises. Le taux de remplissage des véhicules pour le transport de fret est déjà une pratique plutôt répandue.

Les scénarios montrent que pour les transports terrestres de marchandises (route, fluvial, ferroviaire), la neutralité carbone sera atteinte principalement par les évolutions de motorisations et de carburants ainsi que par le captage et stockage de CO2 pour la partie résiduelle des émissions.

Michel Savy a ajouté : « Il y a aussi la vieille question du partage modal, le besoin d’une politique opiniâtre pendant les 40 prochaines années ».

Sur l’aspect « partage » ou « transfert » modal, le rapport thématique intitulé « marchandises, transports routiers, ferroviaires, fluviaux, logistique urbaine », indique : selon les différents scénarios, « les projections à long terme (…) font apparaître de larges écarts quant aux situations finales. La part du chemin de fer est ainsi comprise entre 4 % et 28 % du total en 2060, celle de la voie d’eau entre 1 % et 3 %, celle de la route entre 69 % et 95 %. Elles supposent aussi que des complémentarités modales se développent pour accompagner l’essor de la conteneurisation par voie terrestre ». Il est rappelé que la part modale actuelle du ferroviaire est de 9,6 % et celle de la voie d’eau de 1,9 %.

Des recommandations pour les modes massifiés

Ce rapport thématique assure que « les modes massifiés que sont le fer et le fluvial bénéficient aujourd’hui de conditions favorables pour leur permettre de voir leurs parts modales progresser à l’avenir avec la stratégie nationale du fret ferroviaire, le COP de VNF et la réalisation de la liaison fluviale européenne Seine-Escaut ».

Le texte se poursuit : « Ces conditions sont certes nécessaires mais ne suffiront pas à redresser les tendances passées, car la structure des marchés (vrac liquides et industriels sur lesquels ces modes sont les plus pertinents) ne tend pas à faciliter le redressement de parts de marché de façon significative, si bien que pour qu’ils puissent bénéficier d’un meilleur positionnement sur le marché du fret conteneurisé et assurer une plus large capillarité, plusieurs recommandations sont formulées ».

Parmi celles-ci, en plus d’une coopération plus étroite entre VNF et SNCF Réseau déjà amorcée, le rapport suggère de « conserver le rythme d’investissement proposé par le COI, notamment en matière de régénération des réseaux et, plus largement, pour ce qui est de la modernisation et du développement ».

Deux autres recommandations concernent la nécessité « d’accroître les parts modales des modes massifiés dans les ports » pour le fret conteneurisé et de « faire en sorte que le rythme de décarbonaton des modes ferroviaire et fluvial suive celui de la route pour garder l’avantage propre à la massification sans le voir s’effriter du point de vue des émissions au fur et à mesure de la décarbonation du transport routier ».

Le rapport thématique sur les « marchandises, maritime et ports » met en avant l’importance de l’électrification des quais, les évolutions du design des navires et leur retrofit, la réduction de la vitesse et la propulsion vélique.

Pour Geoffroy Caude, membre permanent du CGEDD, coordonnateur du collège mer-littoral-fluvial, « la décarbonation du maritime et des ports est accessible, avec une législation européenne incitative, notamment Fit For 55, qui peut servir d’aiguillon davantage que celle de l’OMI ».

Télécharger le rapport de synthèse.

Télécharger l’ensemble des rapports.

Retrouvez ci-dessous le replay du webinaire de présentation du rapport.