Colloque “Vert le fluvial” 2022 : le fluvial fait le plein d’énergies !
Face à l’urgence du changement climatique et au renchérissement du coût de l’énergie, VNF a organisé le 6 octobre 2022, un nouvel évènement “Vert le fluvial” consacré à la transition énergétique du secteur fluvial. Les échanges et débats ont porté sur les atouts du fluvial pour une logistique décarbonnée, les enjeux de l’approvisionnement en nouvelles énergies, les freins au développement des projets de nouvelles motorisations et les solutions qui s’offrent aux professionnels. Didier Leandri, président délégué général d’E2F, est intervenu durant ce colloque et plusieurs opérateurs fluviaux adhérents ont participé au « Forum des idées gagnantes ».
Plus vertueux par nature que d’autres modes de transport en matière d’émissions de CO₂ et de gaz à effet de serre, le fluvial cherche malgré tout sa voie sur le chemin sinueux de la transition énergétique. Au-delà du nécessaire « verdissement du fluvial », c’est aujourd’hui la notion de sobriété qui s’impose, relève le directeur général de Voies navigables de France (VNF) M. Thierry Guimbaud qui note dans le même temps « une véritable dynamique » autour de cette question.
Premier indicateur : le mode fluvial permet de transporter chaque année quelque 52 millions de t de marchandises en France, soit l’équivalent de 2,65 millions de camions de 30 t. Un mode également peu énergivore qui rejette quatre fois moins de CO₂ que la route. Pour illustrer son propos, Thierry Guimbaud rappelle que depuis le début de l’année, ce sont près de 11 000 bateaux de fret qui sont passés sur la Seine parisienne, soit l’équivalent de 500 000 camions.
La hausse des températures, un mouvement « irréversible »
Et pour achever de convaincre ceux qui ne le seraient pas encore, le patron de VNF a convié pour ce colloque thématique un membre du Giec, enseignant en géopolitique environnementale à Science Po Paris, François Gemenne. Un scientifique qui met d’emblée les pieds dans le plat : « nous n’avons pas encore compris à quel point les événements climatiques que nous vivons sont devenus la nouvelle norme », explique-t-il en référence aux records de chaleur battus cet été dans l’Hexagone. « Depuis 2000, les années sont de plus en plus chaudes et c’est irréversible », assène-t-il.
Le mouvement à la hausse étant acquis, reste à agir sur son rythme. Un point crucial sur lequel François Gemenne appelle à un véritable changement de paradigme, car la question de savoir si le réchauffement aura effectivement lieu ne se pose plus, selon lui. « Si l’on maintient la trajectoire actuelle, les températures augmenteront de 3,5 à 4 C° d’ici à la fin du siècle », explique-t-il. Un constat terrible alors que les Accords de Paris prévoyaient pour 2030 une diminution de 40 % des émissions de GES… dont la courbe est aujourd’hui encore à la hausse.
Pour faire face à ce phénomène, François Gemenne identifie trois leviers : la sobriété couplée à l’efficacité énergétique ; la prise en compte d’une trajectoire, plutôt que « d’objectifs à long terme qui ont parfois tendance à retarder l’action » ; puis, pour finir, « la nécessité de ne pas regarder uniquement ses propres émissions ». Et c’est peut-être sur ce point spécifique que l’augmentation de la part modale du fluvial prend tout son sens. « En France, les transports sont responsables de 20 % des émissions de GES ». Un volume dont le transport routier représente à lui seul près de 90 %. « L’enjeu pour le fluvial, explique alors le scientifique devant la communauté du transport fluvial, n’est pas seulement de réduire son empreinte carbone mais d’augmenter ses parts de marché pour limiter le transport par la route, quitte à augmenter ses propres émissions ! »
Aides et subventions
« La part modale du transport fluvial en France atteint 2,1 %, a indiqué Baptiste Perrissin Fabert, directeur de l’expertise et des programmes à l’Ademe, notre objectif est de la multiplier par deux. Pour comparaison, en Europe, la part modale du fluvial tourne autour de 6 % ». Ce responsable a rappelé les solutions nouvelles de financement dans le cadre des certificats d’économie d’énergie (CEE) comme Remove (doté de 38 millions d’euros). Il a aussi alerté sur l’existence d’autres dispositifs nouveaux, par exemple pour des projets de « décarbonation » avec l’hydrogène, et pour lesquels aucun candidat du secteur fluvial ne s’est encore manifesté… Peut-être faute d’être informé.
A ce propos, le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud, a annoncé que le « guichet unique », annoncé lors d’un précédent colloque, serait opérationnel en 2023 « pour aider les acteurs économiques dans le maquis des aides et subventions existantes ».
Ce responsable a aussi mis en avant le PAMI dont le nombre de dossiers reçus pour des projets d’amélioration de la performance environnementale des bateaux atteint 63 en 2022 ; il n’y en avait aucun avant 2019. Une nouvelle période se profile d’ailleurs pour ce plan d’aide à la modernisation et à l’innovation de VNF à partir de 2023 et jusqu’en 2027 avec quelques modifications.
Parmi les invités d’une autre table-ronde de la matinée, Frédéric Moncany de Saint Aignan, président du Cluster maritime français : « Je suis ravi que le maritime et le fluvial se parlent. Pour « décarboner » le maritime, nous travaillons en filière et de manière collective au sein d’une coalition structurée autour de thèmes comme l’efficacité/l’efficience, les innovations, la sobriété. Le multimodal relève de la sobriété et là se situe le fluvial qui est toujours le parent pauvre des modes de transport en France. Pour « décarboner » les activités, il faut être organisé en filière et travailler sur l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris la réglementation et les financements. L’hybridation des énergies est l’une des clés en fonction des segments : taille des navires ou bateaux, voyages, usages… La multimodalité est une autre clé pour que la chaine logistique soit la plus vertueuse possible, les différents acteurs, dont les armateurs et les ports, doivent y travailler ensemble. Des outils sont aussi nécessaires pour faciliter le lien entre les transports maritime et fluvial ».
Autre acteur de poids des mobilités, SNCF réseau, par la voix de sa directrice générale clients & services, Isabelle Delon, réaffirme son ambition de doubler sa part modale (actuellement autour de 9 %) d’ici à 2030. Et pour ce faire, VNF et l’opérateur ferroviaire travaillent actuellement à une offre commune « car des points de connexion existent entre nos offres », souligne Isabelle Delon qui évoque, à titre d’exemple, la plateforme multimodale que développe l’entreprise carrières de Vignats en bord de Seine sur le site de Val d’Hazey, près de Gaillon (Eure).
Du côté des chargeurs
Directrice de la stratégie et du développement d’Ikea, Emma Recco a confirmé que ce groupe suédois créateur et distributeur de meubles, allait se lancer dans la livraison fluviale d’ici la fin de l’année sur l’axe Seine au départ de Gennevilliers et à destination de Paris. Une volonté qui s’inscrit dans les objectifs du groupe de réduire son empreinte carbone.
Selon cette responsable : « C’est tout un processus opérationnel à mettre en place. Ce n’est pas simple car ce n’est pas notre cœur de métier mais rien ne coince, avec nos partenaires, on trouve les solutions. Nous avançons étape par étape, il faut réfléchir à 360 degrés. Nous avons notamment identifié la nécessité de maîtriser le foncier, c’est fait à Gennevilliers et à Limay, mais aussi le besoin d’un quai dans Paris disposant de l’espace nécessaire pour accueillir des véhicules électriques, qui vont effectuer les livraisons du dernier kilomètre, et des bornes de chargement/rechargement. Nous observons aussi la possibilité d’un fluvial encore plus « vert ». On va bientôt démarrer ».
Point P, filiale du groupe Saint Gobain, est une autre entreprise qui a apporté son témoignage d’utilisateur « historique » de la voie d’eau sur la Seine. En plus d’approvisionner par bateau, par exemple le magasin Point P situé en bord de Seine au port de Javel, il s’agit désormais de livrer directement des chantiers du BTP en région parisienne, plus particulièrement, ceux des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à l’île Saint Denis. L’entreprise mène le projet d’un bateau fonctionnant au biocarburant (hybridation) et doté d’un bras de grue suffisamment long pour charger/décharger les marchandises plus facilement sur n’importe quel quai.
Du côté des ports
Le secteur du fluvial a aussi amorcé un mouvement de décarbonation de son activité. Antoine Berbain, directeur général délégué d’Haropa port, a présenté les deux types d’actions menées par le Grand port fluvio-maritime de l’Axe Seine pour accompagner ce mouvement. D’une part, un réseau de 80 bornes d’alimentation en électricité commence à être déployé, avec VNF, le long du fleuve. Une dizaine est en place pour permettre aux bateaux de se connecter à quai, plutôt que d’utiliser leur moteur, et l’ensemble du réseau doit être opérationnel à la fin 2023.
D’autre part, l’institution portuaire propose du foncier pour la mise en place de stations multi-énergies afin de permettre la distribution d’électricité, de gaz et, demain, d’hydrogène pour les bateaux et les autres modes de transport. Un appel à projets sur plusieurs plateformes franciliennes spécifique à l’hydrogène vient d’aboutir au choix d’Engie pour deux sites (Gennevilliers et Limay-Porcheville) et de Distry pour trois autres (Bonneuil-sur-Marne, Bruyères-sur-Oise et Montereau-Fault-Yonne).
Du côté des opérateurs
Didier Leandri, président délégué général d’E2F a exposé les différents « boosters » de la transition énergétique, en rapport avec le renforcement des contraintes environnementales qui pèsent sur le transport en général et donc sur la flotte fluviale.
Selon lui, « la profession dispose d’une stratégie de verdissement qui s’est peu à peu construite dans le cadre notamment des ECV (Engagements pour la Croissance Verte). Nous sommes en phase de mise en œuvre de cette stratégie. Ces engagements de l’ensemble des professionnels de la voie d’eau et des Pouvoirs Publics ancrent la volonté du secteur de devenir la référence des transports écologiques. »
Pour Didier Leandri : « le financement de cette transition énergétique, on est en train d’y réfléchir au niveau européen et international avec un programme de financement collectif de cette transition énergétique. Car les programmes de subventions existants en France comme ailleurs sont insuffisants à générer une bascule telle qu’elle permettrait à horizon des engagements internationaux de verdir la flotte fluviale. »
Du côté du ministre
Autre prise de parole, dans l’après-midi, avec une visite-éclair du ministre des Transports Clément Beaune qui s’est déclaré « heureux de revenir » à la rencontre du fluvial à l’occasion du colloque de VNF, rappelant sa venue en juillet lors de l’assemblée générale d’Entreprises fluviales de France (E2F).
Il est d’abord revenu sur la sécheresse et les étiages sur les voies navigables au cours de l’été 2022, estimant que la filière et tout l’écosystème « a su faire face solidement et solidairement pour préserver la circulation fluviale et l’activité économique même si des restrictions ont dû être mises en place. On se prépare à d’autres étés difficiles dans le contexte du défi climatique, ce qui justifie encore davantage les engagements de l’Etat et de VNF pour la modernisation, pour le renforcement des infrastructures, pour la « décarbonation ».
Pour le ministre : « Alors même que vous êtes le mode de transport le plus « décarboné », le plus « vert », vous avez pris des engagements pour la croissance verte, il y a un an et demi, pour encore améliorer et réduire l’empreinte carbone de vos activités déjà plus limitée que celle d’autres segments du transport. Ce sont des engagements sérieux et qui avancent alors qu’ils n’étaient pas évidents pour votre secteur. Nous les suivons et les suivrons dans leur réalisation et ce qui relève aussi de l’engagement de l’Etat via VNF ou l’Ademe. Vos engagements, ce sont la réduction de 20 % des émissions d’ici 2030, ce sont des développements d’innovations pour des motorisations plus propres pour de moindre impacts environnementaux, l’électrification à quai… C’est votre contribution à l’effort général de la feuille de route de transition écologique et de « décarbonation » ».
Clément Beaune a poursuivi : « Nous continuerons l’accompagnement à travers les dispositifs CEE, le soutien de l’Ademe, le PAMI dont je sais désormais à quel point il est utile. Mais aussi le soutien à l’accompagnement de VNF pour le déploiement de sa modernisation et le renforcement des infrastructures. Nous avons encore des échéances importantes dans les contrats de plan Etat-région, dans des rapports qui sont attendus comme celui du préfet Mailhos chargé par le Président de la République de réfléchir sur l’axe rhodanien. Nous avons des infrastructures qui se renforcent et se développent : les travaux du canal Seine-Nord Europe débutent cet automne ».
Il a ajouté : « Nous avons aussi à réfléchir sur l’intermodalité et à des chainons manquants. J’ai pu faire plusieurs visites de port et voir le problème de l’évacuation des marchandises et de la desserte de l’hinterland. Nous pouvons faire mieux par le ferroviaire et le fluvial. Vous êtes une partie importante de la solution de la stratégie globale de « décarbonation » pour laquelle vous êtes bien situés même si vous êtes un « petit » secteur en taille et en nombre d’acteurs ce qui rend parfois plus coûteux le financement des innovations, c’est pour cela que l’Etat doit être à vos côtés ».
Le ministre a conclu son propos sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024 et la cérémonie d’ouverture sur la Seine : « Nous y comptons beaucoup. Il y a tous les enjeux de sécurité, c’est le rôle du préfet. Il s’agit de donner à voir au monde un spectacle exceptionnel sur notre Seine, ce sera une vitrine formidable d’innovations, de modernisation des bateaux. Nous y arriverons même si nous avons quelques sueurs froides. Ce sera une fierté pour le fluvial, un coup d’accélérateur pour votre secteur. Je n’oublie que vous êtes déjà engagés dans les Jeux, au-delà de cette cérémonie spectaculaire, dans la logistique des chantiers et le rôle que vous pouvez avoir dans le fonctionnement et l’approvisionnement pendant l’événement. Vous êtes une partie de l’équation des Jeux, pas anecdotique mais emblématique, et qui nécessite une mobilisation inédite de votre écosystème. Les Jeux résument tout ce qu’on est capable de faire en France et pour votre secteur en particulier ».
Forum des idées gagnantes
En parallèle de cette édition 2022 de Vert le Fluvial s’est tenue le « Forum des idées gagnantes ». Un espace permettant à 15 professionnels du fluvial sélectionnés de présenter leurs équipements et procédés pour réduire leurs émissions et leurs consommations d’énergie : de l’hélice permettant d’améliorer les rendements jusqu’aux projets de retrofit (électrique, hydrogène, bio gaz, énergie positive, hybride…), ces ateliers ont été l’occasion de découvrir le panel de solutions déjà mises en œuvre par les opérateurs fluviaux.
En replay : retrouvez les temps forts du colloque Vert le fluvial 2022.