Sortie de crise… entrée dans une autre, le secteur fluvial face à l’inflation

Les acteurs du secteur fluvial s’y attendaient, la sortie de la crise sanitaire serait compliquée. Le retour à la vie « normale », celle de 2019, n’est pas pour tout de suite. Non seulement les marchés fluctuent sans prévisibilité possible mais la concurrence se fait plus vive que jamais dans un contexte d’inflation jamais vue. La reconstitution des marges des entreprises un temps espérée en 2022 devra attendre mais attendre n’est tout simplement pas une option pour les PME et TPE qui composent notre secteur.

Une inflation qui se niche dans toutes les composantes de l’exploitation

Nous assistons à une dérive sans précédent des coûts techniques d’exploitation de nos bateaux : renchérissement du coût de la maintenance courante du bateau (+ 15 % depuis le début de l’année avec des hausses à venir), celui des travaux (+ 30 %) et de remise aux normes en vue du renouvellement des permis (i.e. titres de navigation) sans oublier les projets plus structurants de refit et de constructions neuve pour opérer la transition énergétique.

Un carburant toujours plus cher

La hausse du carburant étrangle les entreprises : le carburant est passé d’un prix moyen sur l’année 2021 de 0,583 € HT par litre de GNR à 1,1878 € HT par litre le 17 juin 2022, en passant par un point haut à 1,2532 € HT par litre en mars (source https://www.ecologie.gouv.fr/prix-des-produits-petroliers), soit une multiplication du prix par 2. Si l’on prend comme référence le 1er janvier 2021 (0,446 € HT/l) les prix ont été multipliés par 2,7.

Avant la crise la part du carburant dans le coût de revient d’une prestation de transport fluvial était estimée à environ 25 %. Compte tenu de l’évolution du prix du carburant (x 2,7 depuis le 1er janvier 2021) cette part s’établit désormais à 47 %, toutes choses égales par ailleurs.

Le recours à la clause d’indexation légale pour neutraliser la hausse et maintenir une part gazole constante dans les charges d’exploitation du transporteur est de moins en moins opérante, les chargeurs refusant de plus en plus la répercussion gazole nonobstant les clauses contractuelles. L’État s’est de son côté abstenu de compenser les entreprises de navigation intérieure, alors même qu’elle a choisi de le faire pour les entreprises de transport routier et les entreprises de transport ferroviaire. Ni compensation par les prix ni compensation par les coûts, une impasse.

L’enjeu social

L’inflation pénalise les salariés en rognant leur pouvoir d’achat. Dans le même temps les entreprises, tous secteurs confondus, peinent à recruter, mettant potentiellement à mal la capacité de répondre à la demande sur certains marchés. Les entreprises et la branche de la navigation intérieure doivent apprendre à composer avec cette nouvelle donne : organisation du travail, niveau de salaire… A moyen et long terme c’est la question de l’attractivité de la Profession qui est posée. La tentation est grande de vouloir faire reposer sur les seules entreprises le rétablissement du pouvoir d’achat des salariés. Ceci n’est pas supportable économiquement dans un secteur composé presque exclusivement de PME/TPE.

La question à suivre des loyers et péages d’infrastructures

Enfin, la dérive des indices d’évolution des prix notamment celui de la construction laisse augurer un second effet potentiellement dévastateur en 2023, sur les péages et les redevances d’occupation du domaine public par le jeu de la simple application mécanique des règles de tarification publique. Un sujet qui doit s’anticiper dès maintenant.

Il faut voir les choses en face, l’inflation vient perturber l’équilibre intermodal, le plus souvent au détriment du fluvial. Dans un secteur – celui des transports – où l’élasticité prix fait basculer le fret d’un mode à l’autre pour quelques centimes de plus ou de moins facturés à la tonne, la régulation par l’augmentation des prix est dangereuse. Celui qui s’y livre risque d’être placé hors marché. 

Prises en ciseaux entre des coûts qui s’envolent et un marché qui stagne, les entreprises de navigation fluviale sont dans l’impasse.

Cette situation n’est évidemment pas spécifique à la France ni au secteur de la navigation intérieure, ce qui l’est davantage c’est à ce stade l’absence de réponse de l’État, qui après avoir éteint deux foyers d’incendie, dans le transport routier et dans le transport ferroviaire, doit s’attendre à en éteindre un autre : dans le fluvial.