Les artisans bateliers engagés au service de l’économie

3 questions à Pascal Rottiers, Président du Collège Artisans et vice-président d’E2F.

Comment l’artisanat batelier traverse-t-il la crise sanitaire ?

Pascal Rottiers : Le premier confinement a occasionné un arrêt net de l’activité BTP et des conteneurs qui a fortement pénalisé les entreprises de transport de marchandises et les activités de déchets et par ailleurs stoppé purement et simplement les trafics sidérurgiques.

Un certain nombre d’artisans ont été mis en difficulté.

Fort heureusement la récolte céréalière était excellente et un certain nombre d’entre nous ont pu en bénéficier pour amortir le choc.

La période du déconfinement qui s’en est suivie a été l’occasion d’un redémarrage d’activité et dans une certaine mesure d’un rattrapage particulièrement sur le segment du BTP qui a peu à peu rejoint les tendances habituelles sans atteindre les niveaux observés en 2019.

Le marché des conteneurs a poursuivi sa baisse sur le Rhône et a peu à peu repris des couleurs sur la Seine.

Le second confinement n’a pas eu d’effet visible sur nos marchés.

 La continuité d’exploitation sur le réseau, qu’il faut saluer, de même que celle des ports nous ont permis de faire la démonstration de la résilience du transport fluvial pendant toute la durée de la crise, il faut s’en féliciter.

Mais il faut aussi témoigner de deux points d’attention :

Un point important d’attention concerne le petit gabarit, car le contexte d‘exploitation que nous avons vécu en sortie de confinement n’a pas permis de tirer pleinement parti de la reprise économique : le petit gabarit a été particulièrement désavantagé par la qualité du réseau et sa disponibilité, beaucoup de clients sont passé à la route.

Une explication à cela, la période du confinement n’a pas permis au gestionnaire de conduire les opérations d’entretien d’un réseau déjà fatigué, ce qui a occasionné des interruptions ou des restrictions de navigation en plusieurs points du réseau, certains stratégiques.

Un autre point d’attention concerne le grand gabarit et le Rhône puisque nous avons eu à connaître un accident majeur sur l’écluse de Sablons, l’un en mars/ avril avec une impossibilité de naviguer pendant un mois et demie et l’autre en octobre pendant près de dix jours, un coup très dur, qui, là encore, nous a fait perdre des clients.

Sur ces deux points, il faut tirer les enseignements pour l’avenir proche.

En définitive, les prévisions d’atterrissage à fin 2020 nous amènerons probablement à constater des baisses de volumes de l’ordre de -15 à -25 % en moyenne annuelle.

Quelles sont les perspectives d’activité pour les prochains mois dans un tel contexte ?

PR : Le marché des céréales, sujet d’inquiétude en raison de la mauvaise récolte, devrait en réalité reprendre à la faveur d’un surcroit de demande de l’Afrique du Nord, un prix de la céréale qui est reparti à la hausse et un environnement concurrentiel international qui s’éclaircit pour les exportateurs français.

Pour le BTP et la sidérurgie nous ne voyons pas de modification de tendance, même s’il faut bien le reconnaître, la période est marquée par un attentisme des chargeurs et une intensification de la concurrence intermodale.

S’agissant des conteneurs, une filière stratégique pour le mode de transport fluvial, le maître mot est compétitivité. Je crains des fermetures de ligne si nous n’agissons pas à court terme.

Il est clair que les marchés publics et leur exécution seront clé pour la reprise dans les années à venir. Je vise les JO Paris 2024, le projet SIG-Seine Grands Lacs, le Grand Paris Express, Seine Escaut, autant de projets qui vont permettre de porter l’activité. Pour les Grand Lacs cela représente 500 000 m3 pour le premier trimestre 2021.

Mais c’est bien le contexte économique global qui conditionnera principalement cette année 2021.

Quelles actions majeures sont engagées par E2F pour soutenir l’activité ?

PR : Comme chacun le sait, E2F, en tant que Fédération professionnelle, n’a pas vocation à intervenir au quotidien dans l’activité économique. Notre fédération est là pour faire en sorte que l’environnement technique, économique, réglementaire et d’exploitation permette aux entreprises de navigation d’opérer dans les meilleures conditions, de capter à leur avantage de plus en plus de clientèle et finalement de favoriser leur développement.

Cela a été particulièrement le cas au plus fort de la crise, avec des mesures d’accompagnement économiques et financières obtenues par l’action d’E2F seule de la part de l’Etat et de ses opérateurs ou l’adaptation des niveaux de service par exemple ; ceci est encore plus vrai aujourd’hui en sortie de crise et en préparation de ce que nous appelons la relance.

Sur ce dernier point, l’abondement au budget de VNF d’une enveloppe supplémentaire de 175 millions d’euros sur deux ans va permettre de doubler son budget d’investissement par rapport à 2018, la preuve non seulement que nos arguments étaient les bons mais surtout que le caractère stratégique du transport fluvial qui s’est illustré pendant la crise a fini par apparaître aux yeux des politiques.

Outre cette avancée majeure, nous souhaitons amplifier notre action pour faire adhérer les territoires au projet fluvial que nous portons. Deux occasions nous serons données de le faire en 2020 avec les négociations du volet transport des contrats de plan Etat-Région, d’une part, et le contrat d’objectifs et de performances qui sera passé entre l’Etat et VNF. Ceci sera particulièrement important pour faire reconnaître la place du petit gabarit dans cette relance fluviale que nous portons, particulièrement sur les liaisons inter-bassins, en lien avec l’économie touristique et la desserte fine du Territoire, en totale convergence avec le confortement du réseau à grand gabarit.

Je sais que ces sujets apparaissent éloignés des préoccupations immédiates des bateliers, mais ils sont indispensables à notre avenir. Nous n’en oublions pas pour autant leur vie de tous les jours. Cette vie est faite de relations avec les gestionnaires d’infrastructures, de charges particulièrement lourdes qui pèsent sur leur exploitation, de concurrence qu’ils jugent parfois injustifiée.

Tous ces sujets font l’objet d‘une attention extrême de la part d’E2F qui vient de mailler le territoire avec ses délégations régionales afin d’assurer une interface très appréciée que ce soit de la part de VNF, de la CNR et des ports, qui intervient auprès des Ministères et des Elus pour que la fiscalité en cas de cession et rachat de bateaux soit allégée, pour un accès facilité au fonds de solidarité, pour un soutien à l’intermodalité et à la modernisation verte de la flotte,…

Tout cela nous ne le faisons pas dans un esprit revendicatif mais selon une construction méthodique qui privilégie la discussion, la conviction, le professionnalisme, conscients que nous participons à la défense de l’intérêt général en défendant vos intérêts de bateliers.

Ce ne sont ni les sujets ni les obstacles qui manquent mais je voudrais vous convaincre que notre Profession a un cap, que des jalons sont en train d’être franchi, et qu’ils nous rapprochent chaque jour davantage de ce fluvial auquel nous croyons.